Une fois de plus la Galerie Patricia Dorfmann, sous le commissariat de Stéphane Chatry, se penche sur les dégâts collatéraux qu'opère notre société sur les oubliés, les démunis. Le fautif? Toujours le même, le pouvoir. Le pouvoir de l'argent, le pouvoir des richesses naturelles, le pouvoir au bout du flingue. Dénoncer ces abus c'est sans doute tenter d'y remédier, alerter, inoculer dans l'inconscient collectif la nécessité d'agir pour un monde meilleur. Andreï Molodkin, Babtiste Debombourg et Zevs sont réunis sous le titre "Human Rights".
Andreï revisite un des mots les plus forts de notre quotidien, "Democracy". Mise à mal par les nombreux conflits présents et potentiels la démocratie perd du terrain, devient une notion d'un autre temps, rouille, s'effondre. Le roi pétrole en est une des raisons sans doute, mais pas la seule. Quand la connerie et les flingues se rencontrent cela donne l'assassinat par sept policiers US d'un pauvre SDF dont la seule faute était de s'en prendre à un chien distant d'une dizaine de mètres. Filmée de l'intérieur d'une voiture de police la scène est irréelle, on croit à une mise en scène d'un mauvais film de série Z. Et pourtant, au pays qui se targue d'être celui de la liberté, on découvre que la seule liberté est celle de la répression, où le fort parce qu'il a un flingue se croit tout permis et verse dans l'horreur la plus élémentaire.
Baptiste poursuit ici une série démarrée en 2010 dans laquelle sont reproduites à la mine de plomb des armes à échelle 1 sous la forme de plans d'architecte. Par exemple, dans le Dragunov SVD, dérivé de l'AK 47 pour les snipers, vous découvrez un amphithéâtre, un dortoir, le coin douche et chiottes et, dans le viseur, le coin TV. Artiste protéiforme, il utilise aussi le verre (on se souvient de sa magnifique installation à l'abbaye de Brauweiler en Allemagne, dans la quelle une énorme vague de pare-brises se déversait). Les objets les plus banals sont au service d'une esthétique irréprochable, les agrafes pour les aggravures, les sacs plastiques sont dorés à l'or fin et ainsi de suite.
Zevs, très célèbre pour ses liquidations (détournements de logo de world companies) présente un tout nouveau travail d'une rare intensité. A l'aide d'une caméra thermique il a photographié des sans-abris à Tôkyô. Ensuite, par un procédé tenu secret, il a restitué ces portraits avec une couverture de survie, elle même retravaillée comme une gravure. Pour la présentation de l'oeuvre l'artiste a donc choisi ce médium aussi pour son effet réfléchissant. Le regardeur se trouve ainsi confronté à une réalité devenue malheureusement si banale qu'il serait tenté de l'ignorer. Cocteau nous disait "Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images." Et si ce n'était pas l'inverse?
J'ai la chance de connaître ces trois grands artistes, échanger avec eux, assimiler leur esprit subtilement subversif, m'imprégner de la justesse de leurs propos, c'est certain, à leur contact, au contact de leur travail, je change. A mes amis Patricia et Stéphane, je dis aussi un grand merci pour cette magnifique expo et leur engagement.