En franchissant le pas de la porte de la galerie Ropac de Pantin pour y découvrir les oeuvres d'Anselm Kiefer, on pressent que l'expérience sera unique en son genre. Les sens sont en alerte et l'émoi grandit. Ce qui semble n'être "que" du Kiefer, la portée historique en moins (Cf. la rétrospective Kiefer à Beaubourg à revoir sur myFactory), se révèle être un travail d'une profondeur sans doute inégalée.
Sur de vielles toiles "maudites" (certaines datent des années 70, d'autres sont plus récentes), l'artiste va couler du plomb en fusion. Une fois refroidie, la couche sera enroulée sur elle-même, comme un vague, mais aussi comme un pansement se détachant d'une plaie non encore cicatrisée. Une partie du métal cependant reste prise dans la peinture et la toile.
De prime abord on s'approprie les oeuvres comme étant de nouvelles abstractions empruntes de quelques références figuratives ou symbolique (les paysages, le serpent).
Rapidement on s'imagine que la couche de plomb mêlée à la peinture n'a comme seule raison d'être celle de protéger, une seconde peau en quelques sortes.
Pourtant c'est d'autre chose dont il s'agit. En effet le titre de l'exposition "Für Andrea Emo", nous renvoie à la pensée de ce philosophe italien qui, contrairement à Martin Heidegger, ne voit pas la mort comme la suite logique de la vie. Pour Emo, la mort est déjà là, dès notre premier jour (un peu à l'image de la culture japonaise). Seulement du souvenir naît le nouveau. Kiefer finalement admet l'inéluctable et s'en libère. Il va enfin pouvoir détruire...pour reconstruire, sans rage, calmement. Le tableau porte ainsi en lui sa propre négation et sa chronologie. Il n'y a plus d'avant et d'après. Nous ne sommes plus vivants puis morts. Nous acceptons d'être les deux à la fois.
"Le tableau sans iconoclasme est un mystère dévoilé et profane" nous dit Kiefer. Certes, mais on ne m'ôtera pas de l'idée que le Divin s'en est mêlé.